sHORTEST WAY TO hAPPINESS

jUNE--sept 2022

Group Exhibition
givon art forum, tel-Aviv

ARTISTS:
Yaron Attar, Maya Attoun, Lisa Boostani, Roi Carmeli, Roy Cohen, Yael Franck, Matan Oren, Laura Porter, Edgar Sarin, Gabrielle Stemmer, Marcos Uriondo, Yaara Zach

(FR)

Le bonheur, une valeur suprême qui dirige la vie quotidienne depuis l’Antiquité, incarne aujourd’hui l’un des fondements du néolibéralisme. Depuis le début du XXe siècle, le bonheur est devenu une sorte de religion, auprès de laquelle les croyants espèrent trouver un havre de paix inatteignable, plein de soleil et d’auto-accomplissement. Imaginé comme une vision utopiste, la poursuite du bonheur devient la justification de toutes les difficultés imposées par le régime économique. En soutenant ce système, la psychologie n’accuse jamais nos conditions de vie, mais nous demande plutôt de nous améliorer, de nous soumettre à la réalité telle qu’elle et de nous y adapter. Au prétexte de la fausse promesse “que nous pouvons tous être heureux tant qu’on le choisit”, on accepte involontairement de poursuivre le paradoxe de Sisyphe, vivre sous stress et épuisement exponentiel. En sortant du paradis, Dieu a déjà prédit à l’Homme qu’il mangera son pain à la sueur de son front. L’Ultra-Capitalisme ajoute à ce sort la nécessité d’une résilience face aux problèmes et aux imprévus, la flexibilité vis-à-vis des exigences de l’employeur ou encore l'autonomie, l’efficacité et la rapidité. [1] Malgré l’angoisse et le manque de confiance perpétuels, il est attendu de nous la performance maximale au travail, et ce avec le sourire. 

 Après tant d’années pendant lesquelles la culture de consommation a régné sur nos vies émotionnelles (quand elle associait par exemple un certain produit à une certaine image sociale), le rêve que l'abondance puisse satisfaire tous nos besoins s’avère mensonger. Peu après l’exaltation première de l’achat, on revient au point de départ en réalisant que tous les emballages sont vides. C’est pour cette raison que le discours sur le bonheur semble avoir laissé sa place au discours sur l’équilibre mental. Lorsque la joie de l’acquisition se révèle obsolète, nous nous sentons tout de même obligés de prendre soin de notre stabilité mentale pour pouvoir revenir au travail le lendemain. Cette maintenance mentale prend des formes diverses d’évasion, parmi lesquelles les plus convaincantes seraient empruntées aux cultures non-occidentales. Le New Age, nouvelle ère des doctrines spirituelles condensées en livres de développement personnel, en formules magiques ou encore en marchandises de couleurs multiples. [2] C’est ainsi que la méditation, exercée à l’origine pour accepter la souffrance existentielle et créer une sorte de fluidité, est devenue aujourd’hui une manière de réduire les pensées “obsédantes” et d’annuler toute tentative de réflexion sur la source de ces dernières. Les différents exercices de respiration se sont également transformés en moyen de stabiliser un rythme régulier et d’éviter tout effondrement mental. Le yoga encore, est accompagné par des affirmations dont le but est d’entretenir le narcissisme et la concurrence (“J’avance avec confiance vers mon pouvoir”, “I am a money magnet” ou simplement “je profite de la vie” [3]). De manière générale, toutes ces techniques, non dénuées de logique occidentale basée sur l’individualisme, nous séparent et nous empêchent de réfléchir collectivement sur l’échec du paradigme capitaliste.

 Les artistes présentés dans cette exposition vivent et travaillent dans les deux villes les plus chères du monde en 2021 - Tel-Aviv et Paris. Les œuvres sélectionnées apportent chacune un regard différent sur une vie ployant sous une charge économique telle qu’elle ne permet qu’un seul mode de fonctionnement - semblable à une course sans trêve. Shortest Way to Happiness cherche à souligner le fait que malgré l’ambition de réussir à tout prix, le corps et l’esprit se trouvent souvent à deux doigts d’une implosion totale, et désirent se laisser aller à la fatigue, à l’anxiété ou à l’oisiveté. Le remplacement de la fake représentation d’une vie parfaite par la tentative de faire de la place à la dépression ou à la rage est une opportunité de cessation d’activité permettant en cela de déstabiliser l’ordre dominant. Malgré le danger économique impliqué, c’est seulement à l’occasion de cette pause que nous pourrons réaliser le potentiel politique de l’improductivité. L’abondance du XXIe siècle ne nous met pas au repos quant au combat pour survivre : l'émancipation de la faiblesse nous permettrait-elle de remettre en question la loi du plus fort ?  Et si nos aspirations ne nous conduisent dorénavant ni vers le bonheur ni vers l’équilibre mental, quelle raison d’être nous reste-t-il? En effet, la question qui se pose est la suivante : quels modes de vie alternatifs pouvons-nous imaginer pour créer une réalité dans laquelle le bonheur ne serait pas au service d’un système mais répondrait simplement à nos désirs intimes  ?

(EN)

Happiness, a supreme value that has directed daily life since antiquity, today embodies one of the foundations of neoliberalism. Since the beginning of the 20th century, happiness has become a kind of religion, whose believers hope to find an unattainable haven of peace, full of sunshine and self-fulfillment. Imagined as a utopian vision, the pursuit of happiness becomes the justification for all the difficulties imposed by the economic system. In supporting this system, psychology never blames our living conditions, but rather asks us to improve ourselves, to submit to reality as it is and adapt to it. Under the pretext of the false promise "that we can all be happy as long as we choose to be," we unwittingly agree to pursue the paradox of Sisyphus, living under exponential stress and exhaustion. When leaving paradise, God has already predicted to Man that he will eat his bread by the sweat of his brow. Ultra-capitalism adds to this fate the need for resilience in the face of problems and unforeseen events, flexibility with regard to the demands of the employer, as well as autonomy, efficiency and speed. [1] In spite of the perpetual anxiety and lack of confidence, we are expected to perform at our best at work, and to do so with a smile. 

After so many years during which the consumer culture ruled our emotional lives (when it associated a certain product with a certain social image, for example), the dream that abundance could satisfy all our needs is proving to be false. Soon after the initial excitement of the purchase, we come back to the starting point and realize that all the packages are empty. For this reason, the discourse on happiness seems to have given way to the discourse on mental balance. When the joy of acquisition proves to be obsolete, we still feel obliged to take care of our mental stability in order to be able to return to work the next day. This mental maintenance takes various forms of escape, among which the most convincing would be borrowed from non-western cultures. The New Age, the new era of spiritual doctrines condensed in books of personal development, in magic formulas or in merchandise of multiple colors. [2] Thus meditation, originally practiced to accept existential suffering and create a kind of fluidity, has become today a way to reduce "obsessive" thoughts and to cancel any attempt to reflect on the source of these thoughts. The various breathing exercises have also become a way to stabilize a regular rhythm and avoid any mental collapse. Yoga again is accompanied by affirmations whose purpose is to maintain narcissism and competition ("I move confidently towards my power", "I am a money magnet" or simply "I enjoy life" [3]). In general, all these techniques, not devoid of Western logic based on individualism, separate us and prevent us from reflecting collectively on the failure of the capitalist paradigm. 

The artists presented in this exhibition live and work in the two most expensive cities in the world in the year 2021 - Tel Aviv and Paris. The selected works each provide a different perspective on a life that is so economically burdened that it allows only one mode of operation - akin to a never-ending race. Shortest Way to Happiness seeks to highlight the fact that despite the ambition to succeed at all costs, the body and mind are often on the verge of a total implosion, and wish to indulge in fatigue, anxiety or idleness. The replacement of the fake representation of a perfect life by the attempt to make room for depression or rage is an opportunity for cessation of activity, thereby destabilizing the dominant order. Despite the economic danger involved, it is only in this pause that we can realize the political potential of unproductivity. The abundance of the 21st century does not put us at rest in the struggle for survival: would the emancipation of weakness allow us to question the law of the strongest?  And if our aspirations do not lead us to happiness or mental balance, what reason for existence remains? Indeed, the question that arises is the following: what alternative ways of life can we imagine to create a reality in which happiness would not be at the service of a system but would simply respond to our intimate desires?

[1] Eva Illouz & Edgar Cabanos, Happycracy: How the Industry of Happiness controls our lives. Polity Press, 2018
[2]  J.G. Ballard, “The Future of the Future” in A User's Guide to the Millennium: Essays and Reviews, Picador, 1997
[3]  Yoga with Kassandra, Yin Yoga & Affirmations for Success - 30 min Yin Yoga Full Class, youtube, 2019 

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